Monsieur Vertigo | Paul Auster

vertigo♥♥♥♥♥

 Walt est un jeune garçon à qui la chance n’a guère souri. Orphelin de père et de mère, il vit à Saint Louis, à la fin des années 20, chez son oncle et sa tante, élevé dans la misère et les coups. Un jour, il croise la route d’un étrange personnage, Maître Yéhudi, qui le promet de lui apprendre à voler si l’enfant le suit. Walt, que rien ne retient à Saint Louis, surtout pas sa « famille » accompagne le maître jusqu’à une petite ferme au Kansas…

La narration, au passé et à la première personne, développée sous la forme du témoignage de Walt, nous permet de nous attacher très rapidement à ce jeune héros au caractère bien trempé et au verbe coloré. Mais Walt le narrateur n’est pas le seul protagoniste extraordinaire de ce roman. Le maitre est un personnage de contraste, qu’on déteste puis qu’on aime, au même rythme que Walt. Maître Yéhudi reste mystérieux pendant une grande part du récit. Walt, et le lecteur à travers lui, ne parvient à le cerner qu’au travers des autres. De Maman Sioux, qui s’occupe de la ferme, et qui a un lourd passé rattaché aux souffrances de la nation indienne. De même que d’Ésope, le jeune homme noir, autre protégé du maître, atteint de handicapes physiques, mais formidablement intelligent. Ou encore au travers de sa relation avec Miss Witherspoon, qui possède aussi un cheminement de vie tout à fait tragique et exceptionnel. Le poids du passé est donc un thème omniprésent dans le roman. Et Walt qui s’est oublié lui-même pour apprendre à voler, qui y réussit après un entraînement terrible et douloureux pour le corps et l’esprit, qui va se relever rapidement après la perte de ses amis Maman Sioux et Ésope (meurtres dus à la haine raciale), va pourtant subir son passé tout au long de sa vie. En effet, son oncle Slim, cupide, viendra le poursuivre, le kidnapper. Après la mort du maître de la faute de Slim, Walt errera pendant trois années afin de se venger, puis c’est l’abandon de sa carrière et la non-acceptation de cet évènement qui l’amènera aux excès, à brûler sa vie par les deux bouts, au bord de la prison, l’enverra à la guerre.

Tout comme maitre Yéhudi convainc Walt qu’il peut voler, l’auteur nous convainc assez rapidement de la vérité de son propos, même s’il est avare d’explications, ménageant ainsi nombre de surprises et de rebondissements, et toute la « magie » qui entoure le phénomène de la lévitation. Tout comme Walt, nous croyons à la possibilité de voler, à la justesse du contexte de l’Amérique un peu folle de ces années-là, à la rencontre possible de tous ces personnages extraordinaires, hors normes, qui symbolisent chacun une petite part de l’Amérique, au travers de leur culture, de leur origine, de leur classe sociale, de couleur de peau… Une Amérique, faite de mélange et de mouvement, qui apprend, évolue, dans un sens puis dans l’autre, tout comme le fait Walt, passant du statut de gamin à des rues à celui de prodige, de la misère à l’opulence puis de nouveau la misère, de l’intolérance et de la défiance vis-à-vis d’Ésope, du maître, à un amour profond qui cette fois demeure un stade ultime. Car si le roman est porteur de nombreuses péripéties, coups du sort, instants de grandeur puis instants de morts, les sentiments sont des constantes. Le maitre qui a un grand cœur, est lui-même apte au sacrifice, et il a une compassion immense. Les sentiments amoureux qu’il entretient avec Witherspoon semblent éternels malgré les bizarreries de leur relation. Slim reste fidèle à sa haine qui le consume au bout. Walt apprend à aimer le maître et à partir de là, est capable du meilleur pour lui, il a remodelé son être, sa vie pour correspondre à son grand projet. Lorsque celui-ci meurt, le roman s’emballe, il y a des ellipses, les années coulent à toute vitesse pour Walt, comme si l’auteur avait déjà écrit le plus important et le meilleur, nous délivrant son message.

Et qu’est-il donc ce message ? Croire rend l’impossible possible, aplanit les différences, rend les gens heureux et libres ? Est-ce que la décision de Walt à la fin de sa vie, de se livrer dans un roman autobiographique, de raconter son talent a ce sens ? Peu importe, ce roman fait partie de ces œuvres qui brillent déjà fort rien que par la beauté de l’écriture et l’allant que l’auteur a mis à raconter ces aventures.

 

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